Compostelle : le chemin vers le champs des étoiles
Le 25 juillet 813, un ermite du nom de Pelayo (Pélage), eût dans son sommeil la révélation de l’emplacement de la sépulture de l’apôtre Jacques. Il raconta à Théodomir, évêque d’Iria Flavia (actuellement une des paroisses de Padrón, « la pierre », celle qui aurait servi à amarrer le navire transportant les reliques de l’apôtre), avoir été guidé pendant la nuit par une étoile vers une montagne inhabitée où il a vu de mystérieuses lumières et pu entendre le chant des anges. Quelques paroissiens de la proche église de Solovio témoignèrent également avoir vu ces lumières.
Théodomire, croyant à un possible miracle, décida d’accompagner Pelayo pour voir de ses propres yeux ces phénomènes extraordinaires. Après trois jours de jeûne, ils se rendirent sur les lieux... Et là, ils trouvèrent un mausolée avec à l’intérieur un corps décapité tenant la tête sous son bras. L’évêque reconnut en cette dépouille celle de l’apôtre Jacques. Le lieu fut dès lors nommé Campus stellarum (« le champ des étoiles »). La légende, teintée d’un certain romantisme, voudrait que ce soit l’origine du nom « Compostelle ». Mais ce terme ne fut seulement usité qu’à partir du XIXe siècle.
Aussitôt avisé de cette découverte, le roi des Asturies, Alphonse II le Chaste, érigea à côté du tombeau et des reliques une église et un monastère. C’est autour de ces édifices primitifs que naquit Santiago de Compostela (Santiago étant la contraction de Sant et Iago : saint et Jacques).
Codex Calixtinus et l’apogée
Au Moyen Âge, des pèlerins de toute la chrétienté, encouragés par la multiplication des légendes et des manifestations miraculeuses, convergèrent vers Compostelle. D’autant que la perte du royaume de Jérusalem avait rendu le pèlerinage lointain en Terre Sainte risqué et dangereux.
En 1120, après que le pape Calixte II eût proclamé que les années saintes ou jacquaires (celles où le jour de la Saint-Jacques, le 25 juillet, tombe un dimanche) les pèlerins obtiendraient l’indulgence plénière (qui efface tout péché et qui permet au fidèle d’accéder directement au paradis à la fin de sa vie), le pèlerinage compostellan connût son apogée au XIIe siècle. Le fait que l’année jacquaire se répète plus souvent (avec une périodicité de 11, 6, 5, 6 ans) à Santiago que les années jubilaires à Rome (donnant également droit à l’indulgence plénière tous les 25 ans) n’était sans doute pas étranger à cet engouement.
Par ailleurs, c’est à la même époque (vers 1140) que paraît le Codex Calixtinus (attribué a posteriori par les moines de Cluny au pape Calixte II, d’où son nom). Ce recueil regroupe des textes consacrés à saint Jacques le Majeur et à son pèlerinage et dont le cinquième livre, le Guide du pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle, est considéré comme l’ancêtre des guides de voyage. Il y décrit notamment les 4 grandes voies françaises (au départ de Tours, Vézelay, Le Puy-en-Velay et Saint-Gilles), ainsi que les étapes espagnoles ; les dangers, les distances entre les villages, les monuments et les centres spirituels, les hospices, les bons et mauvais fleuves, etc. Il inclut également une description détaillée de la ville de Santiago, ses monuments et ses reliques... L’itinéraire y est découpé en 13 étapes, chacune d’elles divisée en plusieurs jours, avec une distance à parcourir d’environ 35 km par jour à pied ou le double à cheval. Toutefois, il est à noter que la description des itinéraires y est très imprécise. Par ailleurs, il ne mentionne pas de chemin en Europe se contentant de signaler l’origine des peuples qui viennent visiter le sépulcre de « Monseigneur Saint Jacques ». De fait, il semblerait que ce texte ait eu plus pour vocation essentielle la promotion de quelques sanctuaires choisis.
Le déclin et l’oubli
À partir du XIVe siècle, les pèlerinages à Compostelle entamèrent un sérieux déclin à cause principalement des épidémies de peste qui ravagent l’Europe et des famines liées à de mauvaises récoltes.
Au XVIe siècle, Luther, en entamant une lutte contre les indulgences et en se déclarant ouvertement contre les pèlerinages à Santiago, leur porta un coup dur. Il les condamna en ces termes : « On ne sait pas si est enterré là Jacques, un chien ou un cheval mort... alors, n’y allez pas... » Par ailleurs, en 1534, un chanoine de la cathédrale de Saint-Jacques confessa que le peuple avait été abusé en « faisant vénérer une chose qui n’est pas ici ». D’autant qu’en 1601, l’ouverture tant réclamée de la sépulture révéla que le tombeau était vide.
Avec les guerres de Religion successives, la philosophie rationaliste du Siècle des Lumières exhortant à dépasser l’obscurantisme et la Révolution française, le pèlerinage sombra peu à peu dans l’oubli.
Enfin, au XIXe siècle, de nouvelles formes de dévotion, notamment mariale (Notre-Dame de La Salette, Notre-Dame de Lourdes) entrèrent en concurrence avec le pèlerinage de Compostelle. Ainsi, le 25 juillet 1867, jour de la Saint-Jacques, les chroniques racontent qu’à Compostelle il n’y eut que quelques dizaines de pèlerins.
Le 28 janvier 1879, des ouvriers en perçant une voûte trouvèrent derrière l’autel principal une urne avec des ossements humains. L’évêque Miguel Payá y Rico pensa immédiatement qu’il pourrait s’agir des reliques de saint Jacques. En effet, vers 1590, le corsaire anglais Francis Drake avait menacé de ravager Santiago, de détruire sa cathédrale et de piller le tombeau de l’apôtre. L’évêque de Santiago d’alors, Juan de Sanclemente, décida de cacher les reliques sans toutefois préciser à personne où il les avait déposées. Après une enquête partisane, manquant de rigueur, le pape Léon XIII officialisa la reconnaissance du tombeau de saint Jacques par l’Église en 1884 dans sa lettre « Deus Omnipotens ».
Pourtant dès 1900, Monseigneur Duchesne remit en cause l’authenticité des reliques vénérées. En tant que tenant du courant de l’histoire positiviste (qui s’interroge sur les traditions religieuses qui paraissent relever davantage de la superstition que de la réalité historique), il affirma que les légendes liées à saint Jacques relèvent de superstitions, de traditions orales, et ne sont fondées sur aucune réalité historique (Saint Jacques en Galice, article paru dans Les Annales du Midi).
À la fin du XXe siècle, l’interprétation du sanctuaire catholique a subi une évolution doctrinale.
Depuis Jean-Paul II, le mot « tombeau » a disparu des discours des derniers papes : Jean-Paul II se contentant de parler du « mémorial de saint Jacques », sans utiliser le mot « reliques » ; Benoît XVI, évoquant simplement le fait que la cathédrale Saint-Jacques-de-Compostelle « est liée à la mémoire de saint Jacques ».
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